BJN#212 – La dialyse, une épargne qui rapporte ?
Cette BJN est rédigée en rapport avec la référence bibliographique suivante :
Vilar E, Kaja Kamal RM, Fotheringham J, Busby A, Berdeprado J, Kislowska E, Wellsted D, Alchi B, Burton JO, Davenport A, Farrington K. A multicenter feasibility randomized controlled trial to assess the impact of incremental versus conventional initiation of hemodialysis on residual kidney function. Kidney Int. 2021 Aug 19:S0085-2538(21)00749-3.
Lien vers l’article : A multicenter feasibility randomized controlled trial to assess the impact of incremental versus conventional initiation of hemodialysis on residual kidney function
Merci à Amaury Dujardin, Néphrologue à Nantes, membre du Comité Scientifique du CJN, pour cette synthèse bibliographique. Vous aussi, n’hésitez pas à nous envoyer vos lectures !
Introduction
Bien implantée dans les pratiques de DP, la dialyse incrémentale est également intéressante en hémodialyse. Cette méthode de prescription consiste en une augmentation progressive de la dose de dialyse, en parallèle du déclin de fonction rénale résiduelle (FRR). Cela passe habituelle par une prescription initiale bi-hebdomadaire et des durées de séance moindres. La préservation de la FRR est quant à elle un marqueur prédictif de survie. Dans cet article, une équipe anglaise s’intéresse à ce concept, avec le postulat de départ que les premiers mois d’hémodialyse sont grevés d’une morbidité et d’une mortalité importante. Les auteurs émettent également l’hypothèse d’une diminution des complications liées à l’abord vasculaire (moins manipulé), et d’une meilleure qualité de vie.
Patients/matériels et méthodes
Il s’agit d’une étude de faisabilité, randomisée, dans 4 centres de dialyse britanniques. Les patients étaient hémodialysés depuis moins de 3 mois et avec une FRR estimée par la clairance de l’urée > 3 mL/min/1,73 m². Les patients chez qui on anticipait de gros besoins en ultrafiltration et avec une espérance de vie estimée à moins de 12 mois étaient exclus. Les patients étaient randomisés (1:1) en hémodialyse conventionnelle (x3 /semaine), ou hémodialyse incrémentale (x2 /semaine) pendant 12 mois. Dans les 2 bras, la durée de dialyse était de 3h30 à 4h. Les critères de jugement étaient la faisabilité (éligibilité et recrutement des patients), la variation de FRR, et la fréquence des hospitalisations en lien avec une complication de la dialyse.
Résultats
55 patients ont été randomisés : 26 dans le groupe conventionnel et 29 dans le groupe incrémental (à noter que 51 autres patients n’ont pas souhaité participer à l’étude) ; seuls 12 patients dans le premier groupe (46%) et 21 dans le deuxième (72%) ont mené l’étude jusqu’à son terme (M12). Les patients du groupe conventionnel étaient plus souvent hospitalisés (IRR 0,31, p<0,001) et présentaient plus d’effets indésirables sévères en lien avec la dialyse (IRR 0,47, p=0,007). On ne notait pas de différence sur les paramètres ioniques hormis sur le taux de bicarbonates, plus élevé dans le groupe conventionnel. L’HTA semblait moins bien contrôlée dans le groupe incrémental (non significatif). Enfin, les auteurs ne rapportaient pas de différence significative sur la préservation de FRR (p=0,16) ou sur la qualité de vie.
Conclusion
Dans cette étude de faisabilité, les auteurs montrent que l’hémodialyse incrémentale apparait sure. Ces données permettent aux auteurs de démontrer qu’un véritable essai randomisé à large échelle est sûr et pertinent.
Les plus du papier
- Étude de faisabilité montrant les intérêts potentiels de l’hémodialyse incrémentale : moins d’effets indésirables graves liés à la dialyse, moins d’hospitalisations, coût moindre …
- Un effectif malgré tout plutôt conséquent pour une étude préliminaire.
- Population anglaise : plus proche épidémiologiquement de la population française que les nombreuses études américaines.
Les critiques
- Faible nombre de patients à l’inclusion (moins de 20 % des patients éligibles c’est-à-dire ayant débuté la dialyse sur la période d’inclusion) et en fin d’étude. Beaucoup de données non significatives le sont peut-être par manque de puissance, ce que permettra de corriger l’essai à venir.
- Les patients écartés du screening, dont les caractéristiques ne sont pas présentées, étaient possiblement plus graves que les patients de cette étude et donc des candidats à l’hémodialyse intermittente.
- Certains critères d’inclusion sont « surprenants » (espérance de vie estimée supérieure à 12 mois : aurait-on enfin mis la main sur la fameuse boule de cristal ?).
- Pas de signal en faveur d’une meilleure préservation de la FRR.
- La dialyse incrémentale pose en pratique la difficulté d’augmenter secondairement la dose de dialyse (augmentation de fréquence / de durée), dont la négociation est souvent ardue auprès du patient.