Les jeunes néphrologues publient : le Kidney Donor Risk Index « ajusté »
Le CJN s’attache à mettre en avant les travaux scientifiques de ses membres et de la jeune génération néphrologique. Nous relayons ici l’article écrit par les Dr Dantan et Querard et leur équipe. Félicitation à eux pour ce beau travail!
Covariates adjustment questioned conclusions of predictive analyses: an illustration with the Kidney Donor Risk Index
Rôle des variables d’ajustement dans une étude pronostique : une illustration avec le Kidney Donor Risk Index
Etienne Dantan, Florent Le Borgne, Magali Giral, Angelina Dion, Anne-Hélène Querard, Yohann Foucher
J Clin Epidemiol. 2021 Feb 9;135:103-114. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33577986/
Objectifs
Les variables d’ajustement sont régulièrement ignorées dans les études prédictives. Les capacités discriminantes sont souvent rapportées en utilisant l’aire sous la courbe ROC non ajustée (AUC), reflétant uniquement les capacités discriminantes observées d’un marqueur dans une population. Il a toutefois été démontré que les variables associées à un score peuvent constituer une nuisance dans l’interprétation des performances diagnostiques/pronostiques. (1) Il est possible d’estimer la courbe ROC dans une population contrefactuelle dans laquelle la distribution du marqueur pronostique étudié est indépendante des variables d’ajustement, ce qui est un bon moyen d’estimer ses capacités prédictives intrinsèques (1–3).
En transplantation rénale, Rao et al. (4) ont proposé le Kidney Donor Risk Index (KDRI), un score de marginalité du donneur ayant pour objectif de discriminer les greffons selon leur risque d’échec de greffe. Le KDRI est calculé en fonction des caractéristiques suivantes du donneur : âge, ethnie, taille, poids, antécédents d’HTA, de diabète, la créatinine sérique, la sérologie VHC, la cause de décès par AVC et un don après arrêt cardiaque. Il a été construit à partir d’un modèle de Cox multivarié, ajusté sur les caractéristiques du receveur et l’année de transplantation. Cependant les auteurs n’ont pas considéré ces variables d’ajustement lors de l’évaluation des performances discriminantes du KDRI, ils présentaient uniquement l’AUC de la courbe ROC non ajustée. Il en est de même dans les études de validations externes du KDRI (5–7). Les capacités discriminantes brutes (non ajustées) obtenues à partir de la cohorte d’observation/validation utilisée ne tiennent pas compte du fait que les patients les plus âgés et/ou polypathologiques sont plus susceptibles de recevoir des greffons issus de donneurs plus âgés, porteurs de plus de facteurs de risque d’échec de greffe. Il y a donc un risque que les capacités pronostiques du KDRI soient en partie liées aux caractéristiques du receveur, et pas exclusivement aux seules caractéristique du donneur.
L’objectif de l’article de Dantan et al. publié dans Journal of Clinical Epidemiology (8) est d’illustrer l’intérêt de prendre en compte les variables d’ajustement dans l’interprétation des capacités pronostiques d’un marqueur. Plus précisément, il est proposé d’étudier les capacités du KDRI pour discriminer le risque d’échec de greffe rénale en considérant les éventuelles caractéristiques du receveur et de la transplantation qui pourraient fausser cette interprétation.
Matériel et Méthodes
Ils ont étudié 4114 patients de la cohorte française multicentrique DIVAT (www.divat.fr). Il s’agissait de patients adultes transplantés d’un rein seul issu d’un donneur décédé ABO-compatible, pour la première fois, entre Janvier 2006 et Décembre 2018. Le critère de jugement principal était le délai entre la transplantation et l’échec de greffe, défini comme le premier événement survenu entre le retour en dialyse, une retransplantation ou le décès avec un greffon fonctionnel (survie patient-greffon).
Ils ont calculé les capacités discriminantes brutes, i.e. non-ajustées, du KDRI en utilisant l’AUC de la courbe ROC dépendante du temps pour des fenêtres de prédictions allant de 1 à 7 ans post-greffe. Leur premier objectif aura été d’étudier les capacités discriminantes intrinsèques du KDRI estimées par l’aire sous la courbe ROC dépendante du temps standardisée et pondérée, comme le propose LeBorgne et al. (3). L’enjeu était de considérer les performances discriminantes du KDRI sur une population contrefactuelle de patients dans laquelle les variables à l’inclusion auraient une distribution identique entre les sujets subissant un échec de greffe avant le temps de pronostique (cas) et les sujets sans échec de greffe au temps de pronostique (contrôles). Il s’agit ainsi de la première validation externe du KDRI tenant compte des caractéristiques du receveur.
Un second objectif aura été d’étudier l’impact de transplantations basées sur le KDRI pour prédire l’échec de greffe selon la qualité du greffon reçu. Pour cela, ils ont considéré 2 seuils de discrimination (le 20ème et le 80ème percentile du KDRI) permettant ainsi de définir 3 types de qualité de greffons: haute (KDRI<20ème percentile), moyenne (20ème<KDRI<80ème percentile) et basse qualité (KDRI>80ème percentile). Ils se sont alors intéressés aux possibles conséquences en termes de probabilités de survie d’une décision médicale stratifiée basée sur ces seuils de discrimination.
Pour la construction des populations contrefactuelles, et pour respecter l’hypothèse de positivité, ils ont considéré que les receveurs d’un greffon de haute qualité ne pouvaient recevoir de greffon de basse qualité et vice-versa. Ils ont donc défini 2 scénarii. Premièrement, ils se sont demandé si les receveurs d’un greffon de haute qualité auraient eu un moins bon pronostic s’ils avaient reçu un greffon de qualité moyenne (Scenario#1). Deuxièmement, ils se sont demandé si les receveurs d’un greffon de basse qualité auraient eu un meilleur pronostic s’ils avaient reçu un greffon de haute qualité (Scenario#2). Dans cette seconde analyse, les courbes de survie de Kaplan-Meier ont été calculées, ainsi que les courbes de survie ajustées sur les caractéristiques du receveur et de la transplantation pour chacun des scénarii. Ces courbes de survie ajustées ont été obtenues par pondération inverse (9).
Résultats
L’AUC non-ajustée variait de 65% (95%IC [62%-68%]) pour un pronostic à 1 an post-greffe jusqu’à 68% (95%IC [65%-70%]) pour un pronostic à 7 ans de greffe. L’AUC ajustée sur les variables d’ajustement était systématique inférieure et variait de 55% (IC95% [51-60]) pour un pronostic à 1 an de la greffe à 56% (95%IC [52-59]) pour un pronostic à 7 ans de greffe. Les variables d’ajustement retenues incluaient les facteurs de risque d’un échec de greffe rénal (âge du receveur, IMC du receveur, temps d’ischémie froide, temps passé en dialyse, antécédents d’hypertension, de maladie cardiovasculaire, de cancer du receveur, incompatibilités HLA, immunisation pré-greffe anti-HLA de classe I et II).
La probabilité observée de survie à un échec de greffe à 7 ans post-greffe était de 81.3% (IC95% [77.7%-85.0%]) pour les receveurs de greffons de haute qualité, de 71.8% (IC95% [69.3%-74.3%)) pour les receveurs de greffons de qualité moyenne, et 46.8% (IC95% [41.9%-52.2%]) pour les receveurs de greffons de basse qualité. Pour une cohorte de patients suivis durant 7 ans, le temps de survie moyen pour un receveur de greffon de haute qualité était de 6.37 ans (IC95% [6.23-6.49]), de 5.96 ans (IC95% [5.91-6.08]) pour un receveur de greffon de qualité moyenne et 4.99 ans (IC95% [4.79-5.18]) pour les receveurs de greffons de basse qualité. Ces écarts pourraient suggérer une véritable différence de survie du fait de la qualité du greffon. Mais pour apprécier correctement cela, il est nécessaire de considérer les probabilités de survie à un échec de greffe ajustées sur les caractéristiques du receveur et de la transplantation.
Pour une cohorte de patients suivis durant 7 ans, le temps de survie moyen pour les receveurs de greffons de haute qualité était de 6.44 ans (IC95% [6.23-6.49]) et aurait été de 6.31 (IC95% [6.13-6.46]) si les ces mêmes patients avaient reçu un greffon de qualité moyenne. Cela correspond à une augmentation non-significative du temps moyen de survie de 6 semaines (Scenario #1). Pour une cohorte de patients suivis durant 7 ans, le temps de survie moyen pour les receveurs de greffons de basse qualité était de 5.10 ans (IC95% [4.90-5.31]) et aurait été de 5.52 (IC95% [5.17-5.83]) si ces mêmes patients avaient reçu un greffon de qualité moyenne. Cela correspond à une diminution significative du temps moyen de survie de 5 mois (Scenario #2), mais bien moindre que celle estimée lorsque l’on s’intéresse aux survies non-ajustées (11.72 mois, IC95% [9.53-14.65]).
A partir des 2 scenarii considérés sur des populations contrefactuelles, ils montrent donc une réduction des écarts de survie, suggérant que ces différences sont liées aux caractéristiques du receveur et non à la qualité du greffon défini sur la base du KDRI.
Conclusion
Dantan et al. ont ainsi montré que les capacités discriminantes intrinsèques du KDRI sur une population observée de receveurs français étaient faibles, et qu’elles semblent moindres encore lorsque les caractéristiques du receveur et de la transplantation sont prises en considération. Cette étude illustre donc que les capacités discriminantes observées du KDRI reposent essentiellement sur les caractéristiques du receveur, et non sur les caractéristiques du donneur, et plus globalement que considérer les variables d’ajustement dans l’évaluation des performances discriminantes d’un marqueur est important.
Par ailleurs, ils ont étudié l’effet causal sur la survie patient-greffon de la qualité de la transplantation définie par le KDRI. Dans chacun des scénarii considérés, ils ont estimé de faibles différences de survie, suggérant que la qualité du greffon définie à partir du KDRI n’avait pas un impact important sur la survie du greffon dans une population de patients transplantés français. Cela pourrait suggérer l’intérêt de considérer une extension des critères de marginalité des greffons permettant ainsi d’étendre le pool de greffons disponibles (10).
Références
Janes H, Pepe MS. Adjusting for covariates in studies of diagnostic, screening, or prognostic markers: an old concept in a new setting. Am J Epidemiol. 1 juill 2008;168(1):89‑97.
- Pardo-Fernandez JC, Rodriguez-Alvarez MX, Van Keilegom I. A review on ROC curves in the presence of covariates. REVSTAT-Stat J. 2014;12(1):21‑41.
- Le Borgne F, Combescure C, Gillaizeau F, Giral M, Chapal M, Giraudeau B, et al. Standardized and weighted time-dependent receiver operating characteristic curves to evaluate the intrinsic prognostic capacities of a marker by taking into account confounding factors. Stat Methods Med Res. 20 juin 2017;0962280217702416.
- Rao PS, Schaubel DE, Guidinger MK, Andreoni KA, Wolfe RA, Merion RM, et al. A comprehensive risk quantification score for deceased donor kidneys: the kidney donor risk index. Transplantation. 27 juill 2009;88(2):231‑6.
- Peters-Sengers H, Heemskerk MBA, Geskus RB, Kers J, Homan van der Heide JJ, Berger SP, et al. Validation of the Prognostic Kidney Donor Risk Index Scoring System of Deceased Donors for Renal Transplantation in the Netherlands. Transplantation. janv 2018;102(1):162‑70.
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10. Querard AH, Le Borgne F, Dion A, Giral M, Mourad G, Garrigue V, et al. Propensity score-based comparison of the graft failure risk between kidney transplant recipients of standard and expanded criteria donor grafts: Toward increasing the pool of marginal donors. Am J Transplant Off J Am Soc Transplant Am Soc Transpl Surg. mai 2018;18(5):1151‑7.