BJN#224 – Dialyser en réanimation, un timing à la carte ?
Merci à Romain Arrestier, de Créteil, membre du conseil scientifique pour ce résumé.
N’hésitez pas, si vous le souhaitez, à nous envoyer vos lectures !
Cette BJN est rédigée en rapport avec cet article :
Personalization of renal replacement therapy initiation: a secondary analysis of the AKIKI and IDEAL‑ICU trials. Publié par Grolleau et al. Crit Care 2022
Introduction
Le timing d’introduction de l’EER en réanimation a longtemps été débattu. Actuellement c’est la stratégie retardée qui est privilégiée car elle permet d’éviter l’EER chez 40% des patients avec une IRA KDIGO3, toutefois sans bénéfice sur la mortalité.
La question posée est de savoir si les patients pris en charge dans une stratégie reatardée et qui vont être dialysés dans les 48h du début de cette stratégie n’auraient finalement pas bénéficié d’une stratégie précoce.
Matériels et méthodes
Il s’agit d’une étude secondaire reprenant les données des études AKIKI et IDEAL-ICU. Le critère principal de jugement était la mortalité à J60.
Les auteurs ont procédé à trois étapes :
- La création d’un modèle prédictif du risque de débuter l’EER dans les 48h suivant le début d’une stratégie « retardée » en utilisant 6 variables à l’inclusion: pH ; urée ; kaliémie ; SOFA ; poids ; traitements immunosuppresseurs.
- L’application du modèle à 1107 patients, permettant de définir différents niveaux de risque d’être dialysé dans les 48h suivant une stratégie tardive.
- La comparaison de l’effet des stratégies précoces et retardées sur la mortalité à J60 en fonction du niveau de risque prédit.
Résultats
L’application du modèle de prédiction a permis de définir 5 groupes à risque croissant. Les caractéristiques cliniques et biologique à l’inclusion étaient équilibré au sein des groupes.
L’effet de la stratégie de dialyse précoce est hétérogène entre les groupes sur la mortalité à J60. Chez les patients ayant un faible risque (groupe 1) et les patients avec un très haut risque (groupe 5) elle n’a pas de bénéfice (absolute risk difference = 1% IC95 [-12%;14%] et ARD = 7%, IC95 [-6% ; 20%]). Elle semblait délétère chez les patients avec un risque intermédiaire faible (groupe 2). Pour les patients à haut risque (groupe 4) la stratégie précoce semblait par contre bénéfique (ARD -14%, IC95[-27%; -1%]).
Il n’y avait pas de différences sur les critères secondaires entre les différents groupes selon la stratégie d’initiation (nombre de jours sans ventilation, sans catécholamines, sans dialyse à J28).
Conclusion
L’effet du timing d’introduction de l’EER est hétérogène sur la mortalité à J60 en fonction du niveau de risque d’être dialysé dans les 48h après le début d’une stratégie retardée. La stratégie précoce semble à privilégier chez les patients à haut risque. Chez les patients à faible risque elle est délétère (traitement invasif chez des patients peu graves) et chez les patients à très haut risque elle est inefficace par rapport à une stratégie retardée (pas de modification du pronostic chez des patients déjà très graves).
Les plus du papier
Au-delà des résultats présentés, cet article est intéressant car il s’agit d’un des premiers sur l’EER en réanimation qui applique une réflexion de personnalisation de la médecine. L’évaluation de l’hétérogénéité de l’effet d’un traitement au sein d’une population d’étude semble fondamentale pour définir l’intérêt du traitement chez certains patients mieux sléectionnés.
Les auteurs fournissent un outil informatique pour déterminer le profil de risque des patients pour aider au choix du timing de l’introduction de l’EER.
http://rrt-personalization.eu/
Les critiques
Il s’agit d’une étude secondaire, reprenant les données de 2 études précédentes, certes bien conduites mais avec des données manquantes.
Des études prospectives testant ce modèle sont nécessaires avant d’utiliser en pratique courante l’outil informatique produit par les auteurs, le laisser en libre accès pourrait induire une modification des pratiques alors que la stratégie n’a pas été validée par d’autres études.