BJN#257_Life in plastic, it’s not fantastic !
Merci à Pierre Filipozzi, de Metz, membre du conseil scientifique pour ce résumé.
N’hésitez pas, si vous le souhaitez, à nous envoyer vos lectures !
Cette BJN est rédigée en rapport avec cet article :
Endocrine disruptors in dialysis therapies: A literature review, publié par Cambien G et al. dans Environ Int, en juillet 2023.
Introduction
Les perturbateurs endocriniens (PE) ont été définis en 2002 par l’OMS comme des substances ou mélanges qui modifient les fonction du système endocrinien et qui sont responsables d’effets indésirables sur la santé d’un organisme ou de sa descendance
Les patients atteints de maladie rénale chronique sont surexposés aux PE du fait de la baisse du de l’élimination rénale de ces substances et du contact en dialyse avec des dispositifs médicaux (DM) contenant des PE. Cette revue de la littérature avait deux principaux objectifs :
- Faire un état des lieux des connaissances sur l’exposition aux PE des patients IRC stade V
- Déterminer quelles pratiques et DM sont associés à de plus fortes expositions aux PE.
Matériels et méthodes
Revue de la bibliographie réalisée le 29/06/2022 sur les bases de données en ligne PubMed, Embase et Web of science. Les auteurs ont sélectionné les études originales étudiant l’exposition aux PE liés au traitement par dialyse ou s’intéressant au relargage de PE par les équipements de dialyse dans les liquides de dialyse. On été exclues, entre autres, les méta-analyses, les études chez l’animal, les études ne se focalisant sur les DM de dialyse, les études sans texte complet disponible en Anglais. Les études ont été sélectionnées indépendamment par deux reviewers. En cas de désaccord, un troisième reviewer était sollicité.
Résultats
Vingt-six études ont été sélectionnées pour cette revue, étudiant 7 PE, à savoir : le Bisphenol A (BPA), le bisphenol S (BPS), le bisphenol B (BPB), le nonylphenol, le DEHP, le DBP, and le Butylbenzyl phthalate (BBP).
Par élution, du BPA a été retrouvé dans les coques de dialyseurs en polycarbonate (PC) et dans les fibres des dialyseurs en polysulfone (PS) et en polyamide (PA). Les fibres en polyethersulfone (PES) ne contenaient pas de BPA mais étaient les seules à contenir du BPS. Des études simulant une dialyse avec circulation d’un compartiment sanguin factice ont confirmé qu’il y avait relargage de BPA par les fibres de PS et de PA mais pas par les fibres de PES (qui en revanche étaient les seules à relarguer du BPS). Les coques de dialyseurs en polycarbonate semblaient associées à un plus fort relargage de BPA dans le compartiment sanguin par comparaison aux coques en polypropylène.
Les fibres en polyméthyméthacrylate, triacetate de céllulose et en cellulose contenaient aussi du BPA mais à des niveaux moindres. Les membranes en PS, PA et PES contenaient toutes du BPB.
Le rinçage des ultrafiltres et des dialyseurs lors d’une séance d’hémodialyse simulée permettait de diminuer la concentration de BPA dans le dialysat.
Une seule étude a recherché la présence de phtalates (DEHP, DBP et BBP) dans des dialyseurs (membranes en cellulose et en PS testées). Cette étude a retrouvé du DEHP et du DBP dans ces membranes et du BBP dans les fibres en PS seulement. Du DEHP et du DBP a été retrouvé dans les tubulures du circuit de CEC avec des concentrations en DEHP au moins 5 fois supérieures dans les tubulures flexibles par rapport aux tubulures rigides (le DEHP est un plastifiant permettant de rendre le PVC plus souple).
Des PE ont été retrouvés dans tous les fluides du circuit d’hémodialyse, de l’eau de ville jusqu’au dialysat (cf figure). Le procédé de fabrication d’eau ultrapure ne semblait pas capable d’éliminer le BPA puisque les concentrations retrouvées dans l’eau ultrapure et dans l’eau du robinet étaient équivalentes.
Plusieurs études ont évalué l’impact d’une session de dialyse et de ses modalités techniques sur les niveaux sanguins de bisphénol pré et post dialyse. Ces études comparaient pour la plupart des dialyseurs composés de membranes en PS à des dialyseurs composés de membranes en Polynephron (PN). Une étude a mis en évidence une diminution significative des niveaux sanguins de BPA lorsque la membrane en PS était switchée pour une membrane en PN (de 23.42 ± 20.88 à 6.44 ± 10.77 ng/mL). Les patients traités en HD semblaient surexposés aux PE par rapport aux patients en HDF dans une étude (98.96 ± 120.75 vs 12.12 ± 15.9 ng/mL) quelque soit le dialyseur utilisé. Ces résultats méritent d’être étayés par d’autres études.
Concernant la dialyse péritonéale (DP), deux études ont recherché la présence de DEHP dans les DM utilisés et en ont retrouvé dans les poches de dialysat en PVC et les matériaux tubulures des sets de DP. Des PE ont également été mis en évidence dans le dialysat utilisé en DP.
Les niveaux sanguins de DEHP en DP ont tendance à augmenter sur des échantillons sanguin pré et post dialyse quelque soit les matériaux utilisés pour les tubulures et les poches. Les matériaux avec des plastifiants alternatifs au DEHP semblent diminuer l’exposition au DEHP mais ces données doivent encore être confirmées.
Conclusion
Des PE ont été détectés dans tous les DM évalués en HD ou en DP à des niveaux variables selon les matériaux utilisés. Les patients dialysés sont exposés aux PE de façon chronique et à des niveaux élevés.
Les patients en HD par comparaison aux patients en HDF seraient peut être surexposés aux PE.
L’utilisation de dialyseurs en PS ou PA avec une coque en polycarbonate surexposerait au BPA.
Rincer les reins et les circuits avant utilisation permet de diminuer l’exposition des patients aux PE.
Un règlement sur les DM a été adopté par le Parlement Européen en 2017. Son application devrait contribuer à revoir la conception des DM pour limiter l’exposition des patients aux PE.
On ne sait pas à ce jour si l’exposition chronique des patients dialysés a des conséquences significatives sur leur santé. Les auteurs soulignent toutefois le risque d’effets cocktail et le lien reconnu entre PE et obésité, diabète de type 2, maladies cardiovasculaires et troubles de la fertilité. Ils invitent donc les industriels à revoir les procédés de fabrication des DM pour trouver des alternatives sans PE.
Les plus du papier
Revue intéressante et originale sur un sujet sur lequel la communauté médicale néphrologique est peu sensibilisée.
Le gros travail de synthèse réalisé par les auteurs est à souligner. Il permet d’avoir une vue d’ensemble sur les données disponibles sur l’exposition aux PE dans l’IRC terminale.
Les critiques
Manque de standardisation des études inclues dans cette revue de la littérature avec des pratiques différentes qui ont pu jouer sur les taux de PE mesurés.
La littérature incluse dans ce travail était assez largement centrée sur le BPA. Les données sur les autres PE sont moins nombreuses. D’autres PE émergents ou reconnus comme certains dérivés du BPA n’ont pas été testés.
Les auteurs soulignent que les prélèvements d’échantillons sanguins ne sont pas adaptés aux expositions chroniques à une substance. D’autres méthodes (comme des prélèvements de cheveux) permettraient de mieux évaluer l’exposition aux PE.