BJN#64 Les recommandations thérapeutiques en dialyse – Un Graal hors d’atteinte ?
Attainment of guideline targets in EURODOPPS haemodialysis patients: are differences related to a country’s healthcare expenditure and nephrologist workforce?
Introduction
Aux USA comme en Europe, atteindre les cibles cliniques définies par les recommandations KDOQI ou DOPPS est corrélé à une meilleure survie. Cette étude est un audit réalisé dans plusieurs pays européens et dont le but est double : 1/ Faire une analyse descriptive en rapport avec les cibles thérapeutiques définies par les « guidelines » internationales KDOQI et KDIGO, 2/Corréler ces résultats aux dépenses de santé et à l’effectif néphrologique.
Patients/matériels et méthodes
Les données des patients inclus dans la cohorte EURODOPPS entre 2009 et 2011 ont été reprises pour cette étude. Des données démographiques et de comorbidité ont été recueillies initialement ainsi l’évolution clinique, biologique et les traitements en lien avec l’IRC (EPO, chélateurs du phosphore,…). Les cibles thérapeutiques ont été définies selon les recommandations en vigueur entre 2009 et 2011 (KDOQI et KDIGO) :
* TA avant dialyse <140/90mmHg et après dialyse <130/80mmHg
* Phosphate sérique compris en 1.13mM et 1.77mM
* Hémoglobine comprise entre 11g/dL et 12g/dL si patient traité par ASE
* Bicarbonatémie > 22mM
* PTH entre 150pg/mL et 600pg/mL
* 25-OH-Vitamine D3 >30ng/mL
* Calcémie comprise entre 2.10mM et 2.55mM
* LDL-cholestérol <1.0g/L
Ces données ont été corrélées au PIB, aux dépenses de santé ainsi qu’à l’effectif médical.
Des modèles de régression logistique complexes ont été utilisés avec un ajustement sur différents facteurs de confusion. Les relations entre l’obtention des objectifs et le PIB, les dépenses de santé et l’effectif médical ont été déterminées grâce à des corrélations de Spearman.
Résultats
6317 patients provenant de 7 pays européens (Allemagne, Belgique, Espagne, France, Italie, Royaume Uni, Suède) ont été inclus dans les analyses, la plupart étant d’origine caucasienne et 1/3 diabétiques.
34.1% des patients atteignaient les cibles de TA, avec une grande disparité de pratique entre les différents pays (plus de traitements prescrits en Allemagne et en Suède qu’en Espagne, utilisation de classes différentes). Environ 6.6% des patients au-dessus des cibles thérapeutiques ne recevaient pas de traitement tandis que 12.5% étaient considérés comme résistants (3 traitements antihypertenseurs ou plus).
Concernant l’hémoglobine, 31.2% des patients atteignaient la cible d’hémoglobine (11g/dl-12g/dl) – Figure 1. L’Espagne, plus grande prescriptrice d’ASE avait aussi le taux le plus important de patients au-dessus des cibles, à l’inverse de l’Italie. 13.4% étaient considérés comme résistants.
Alors que les données sont plus parcellaires pour le LDL-cholestérol, la cible définie <1g/l était plus facilement atteinte (73.1%). Il faut noter que 32.1% des patients atteignaient la cible sans traitement.
77% des patients étudiés atteignaient une Bicarbonatémie>22mM, avec 30% d’absence de prescription lorsque la cible n’était pas atteinte.
Concernant le bilan phospho-calcique : Pour le Phosphate (1.13mM-1.77mM), cible atteinte pour 51.3% des patients (La France grande prescriptrice de chélateurs avec plus souvent qu’ailleurs une cible dépassée). La PTH atteignait dans 56.2% des cas la cible (150pg/mL – 600pg/mL), la vitamine D, lorsque la valeur était disponible (donnée quasi absente en Suède, Royaume-Uni et Italie), atteignait la valeur attendue pour seulement 44.8% des patients, et concernant la calcémie, les cibles (2.10mM-2.55mM) étaient respectées de manière très variable d’un pays à autre (78.2% au Royaume-Uni, 23,4% en Allemagne).
De manière générale, seuls 5% des patients atteignaient les 6 critères en même temps et 57% des patients remplissaient la moitié des critères (variation de 53% en Allemagne à 64% en Espagne) – Figure 2.
Aucune corrélation significative n’a pu être établie entre PIB, dépense de santé, démographie des néphrologues et atteinte des « guidelines » – Table 1. Ainsi, l’Allemagne qui a l’un des PIB les plus élevés et l’une des dépense de santé les plus élevées obtient les moins bons résultats, tandis qu’au Royaume-Uni qui a des dépenses bien moindres et un nombre de néphrologues particulièrement bas obtient l’un des meilleurs résultats.
Conclusion
Cette large étude met en évidence l’absence de prise en charge adéquate pour une grande partie des patients dialysés, ainsi qu’une grande disparité de prise en charge d’un pays à l’autre. Ces résultats sont indépendants des données macro-économiques des pays étudiés. Cela signifie-t-il que l’ensemble des néphrologues est incompétent ? Que les patients sont inobservants ? Ou que les cibles sont inatteignables ? Plusieurs pistes sont évoquées : un niveau de preuve faible dans l’établissement des recommandations qui incite peu les néphrologues à les respecter, des facteurs de résistance aux traitements en lien avec les comorbidités des patients (près de 10 à 15% de cible non atteitne pour certains facteurs), un trop grand nombre de médicaments pris et dont l’efficacité n’est pas toujours perçue et comprise par les patients ce qui favorise l’inobservance.
Concernant les différences de résultats entre les pays, qui ne sont expliquées ni par les disparités d’effectif néphrologique, ni par les données macro-économiques, mais peut-être en partie par des différences spécifiques de remboursement des différents systèmes de santé ?
Les plus du papiers
Il s’agit de l’une des premières études qui évalue l’ensemble des cibles de manière simultanée, sur un large effectif multinational. Les données obtenues correspondent à la « vie réelle » dans les centres de dialyse. Les auteurs montrent bien les difficultés à atteindre les cibles.
Les critiques
Des facteurs limitant sont évoqués mais pas étudiés (par exemple l’absence de remboursement du dosage de la vitamine D). Des données cliniques importantes qui peuvent impacter les résultats ne sont pas évaluées (Volémie et consommation sodée des patients et HTA, données nutritionnelles et évaluation diététique pour la bicarbonatémie et la phosphatémie). L’impact des recommandations nationales en néphrologie et dans des disciplines proches (recommandations des sociétés de cardiologie pour la cible de LDL-cholestérol) aurait aussi pu être évalué.
Cet article met en évidence l’urgence à établir des recommandations professionnelles reposant sur des arguments plus solides, et la nécessité d’une harmonisation européenne plus forte qui pourrait permettre d’éviter le « mille-feuille » de recommandation.
Merci à Thibault Dolley-Hitze (Néphrologue à Saint-Malo) pour cette synthèse bibliographique. Vous aussi, n’hésitez pas à nous envoyer vos lectures !